Certes Amédée était d'humeur bavarde, mais il n'était pas le seul apparemment.
Il haussa encore les épaules aux propos de Réki. Le Lion était réformé mais pas
archidiacre ou équivalent, ni même monseigneur ou équivalent, donc la mise en
parallèle de Réki n'avait simplement pas de sens. Il répondit à Arnarion :


"Vous emballez pas monseigneur, vous me prêtez plus de propos qu'il n'y en
a en mes paroles. Je cause pas de concepts philosophiques, je décide rien à
la place de l'Eglise, je raisonne juste quant à la diplomatie, la morale. Quand il
arrive que quelqu'un me mette un coup, je me dis que ça peut être un accident.
Quand il me met dix coups, je me rends à l'évidence qu'il le fait exprès...

Votre vision arrangée de la séparation entre spirituel et temporel, façon girouette
ou Rome aurait son mot à dire mais jamais à en assumer la responsabilité, ne m'a
jamais convaincu. Nous parlons de diplomatie, nous ne jouons pas à chat perché.
Quand on se positionne sur l'échiquier diplomatique on assume chacun de ses pas.

Je vous dis que Rome doit assumer son soutien à Marcus, et vous me répondez
que Rome avait le droit de le soutenir. Oui, elle avait le droit, comme elle avait le
droit de soutenir les autres candidats. Elle ne l'a pas fait avec les autres, mais avec
Marcus... donc pourquoi on lui accorderait pas le droit d'assumer ses positions ?

Tout le monde parmi les électeurs francophones savait que l'Empereur était un
fou dangereux. Il a eu le soutien de l'Eglise parce que ça arrangeait certains
haut placés de Rome. Vous même tantôt vous niez l'implication romaine dans
les affaires temporelles, tantôt vous dites que les deux sont liées... hypocrisie...

Princes d'Eglise et Chevalerie, un monde nous séparera toujours, Arnarion. Les gens de
votre espèce savent bien se cacher dans des robes pendant que les coupe-jarrets font
leur sale boulot. Quand nous autres, nous salissons les mains sous nos bannières...

Rome veut prévenir la Lorraine de l'hérésie. Que la tyrannie s'installe et que le
mensonge et les bassesses deviennent notre lot quotidien, c'est pas grave, ça va au
moins prévenir de l'hérésie dont on s'était jamais plaint... en avez trouvé des sorcières ?

Bref, tout ça pour dire que là si on cherche de l'aide, on s'attend pas à la trouver au
Saint-Siège, bien sûr. Tant que Rome sera du genre à tolérer certaines indépendances,
en refusant de tolérer notre droit à disposer de nous-même, Rome s'affiche en ennemi."

Après Arnarion, la blonde venait à son tour de s'engager sur un terrain plutôt glissant :


"Intéressant... tour à tour vous nous démontrez comment le spirituel interfère dans le temporel.
Mais voyez vous, votre esprit de croisade est contraire à la défense de notre Loi fondamentale.

Pourtant en campagne, votre liste électorale niait être dangereuse pour les libertés des Lorrains."


Il plaça une main protectrice sur l'épaule du petit Christos, qui avait encore à apprendre :


"Nous, huguenots, voyons le Livre comme une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit,
fusse-t-il papiste, réformé ou d'autre confession. Eux, veulent faire des différences entre hommes."

Amédée... Un point de théologie : Evidemment que nous démontrons comment le spirituel agit dans le temporel, puisque c'est de ce premier que la source de la légitimité du second vient. D'ailleurs tout croyant, qu'il soit Aristotélicien, Huguenot comme vous, Averroïste ou Spinoziste assume, comme nous, le fait que tout découle du divin, puisque Dieu est considéré comme omniprésent et actif dans les affaires humaines en tant que créateur, pourvoyeur, juge et rédempteur. L'homme doit se plier à Dieu et non l'inverse.

Citation :

Mais voyez vous, votre esprit de croisade est contraire à la défense de notre Loi fondamentale.

Vous employez vraiment de ces mots, vous ... Je suis traître et maintenant croisé ? Quand ais-je mentionné ou évoqué le vocabulaire sémantique d'une croisade, mon cher ? Depuis le début je ne parles que de diplomatie...


Et nous ne faisons pas de différences entre les hommes, où allez-vous encore chercher ça ? En revanche vous, vous en faîtes puisque vous pensez que par la naissance nous sommes inégaux au yeux de Dieu, et qu'en fonction de cela, nous sommes prédestinés à aller au Paradis ou en Enfer sans même être jugés en fonction de nos mérites et de la grâce sacramentelle issue de Christos...

Amédée n'était pas ignare en théologie, c'était le propre des Huguenots que de donner des leçons aux idolâtres papistes :


"Si l'homme doit se plier à Dieu, vous feriez mieux de le laisser seul juge de qui est hérétique ou ne l'est pas.
Si l'homme doit se plier à Dieu, et non à de faux messagers, l'Eglise ne devrait vanter de candidat au trône.
Si l'homme doit se plier à Dieu, il ne devrait en fait être accordé aucun pouvoir politique à L'Eglise de Rome.

Votre colistière parle d'hérétiques, c'est un langage de croisé. Cessez de vous enfoncer à dire que vous ne
faites pas de différences entre les hommes, vous venez de démontrer le contraire devant nous tous.

Ne m'attribuez pas vos raccourcis, les Huguenots ne croient pas en l'Enfer... ce que je dis c'est que seul Dieu
a le droit de juger nos âmes  lorsque le moment sera venu. Rome au contraire voue les hérétiques à l'Enfer...

... la voilà cette différence entre les hommes que vous faites, et que vous niez. Recevez, monseigneur,
la fin de ma tirade comme vos derniers sacrements. Ma messe est dite, je passe à autre chose."


Te Deum en gamme rhétorique majeur... pour se moquer d'Arnarion, il ajouta un signe de croix dans l'air :

"In pace requiescat..."

Citation :

Votre colistière parle d'hérétiques, c'est un langage de croisé. Cessez de vous enfoncer à dire que vous ne
faites pas de différences entre les hommes, vous venez de démontrer le contraire devant nous tous.

Sa colistière parle en son nom pas celui de l'église, elle est encore à étudier et n'en est pas encore arrivée aux croisades mais ne se laissera pas bourrer le crâne par un
Hugue or not... D'autre part je n'ai cité personne pourquoi vous sentez vous visé?

Spoiler:

Arnarion non plus n'était pas ignare. Les huguenots ne comprenaient décidément rien à rien.

Citation :

"Si l'homme doit se plier à Dieu, vous feriez mieux de le laisser seul juge de qui est hérétique ou ne l'est pas.
Si l'homme doit se plier à Dieu, et non à de faux messagers, l'Eglise ne devrait vanter de candidat au trône.
Si l'homme doit se plier à Dieu, il ne devrait en fait être accordé aucun pouvoir politique à L'Eglise de Rome.

Que vous n'y croyez pas ou non, c'est pareil, mon fils. l'Eglise est l'émanation de Dieu. Elle est dépositaire de la Vérité. En ce sens, elle et elle seule a le pouvoir d'agir en Son Nom. Et donc bien évidemment, à juger qui est en dehors de cette Vérité ou ne l'est pas, de cautionner les pouvoir politiques en Son Nom et de travailler en symbiose avec les pouvoirs temporels en Son Nom.

Dois-je être plus explicite, à la fin ?

Il balaya de la main les fausses accusations de l'huguenot gisant en face de lui

Hérésie n'est pas un vocabulaire de croisade, mon bon Amédée. C'est un vocabulaire de religion, voilà tout. Cessez de jouer de mauvaise foi, voulez-vous ?

Citation :

Ce que je dis c'est que seul Dieu
a le droit de juger nos âmes  lorsque le moment sera venu. Rome au contraire voue les hérétiques à l'Enfer...

C'est vous qui prenez un énorme raccourcis... Conaissez-vous vraiment le Dogme ?
L'Eglise ne juge pas les âmes, elle les entourent et les protègent afin qu'elles soient dans les meilleurs dispositions devant Dieu. La Confession, vous connaissez ? Evidemment que non, apparement.

Requiescant, mon fils, Requiescant. Vous vous adressez à Soeur Ysabeau et moi. On le dit au pluriel. Voulez-vous un cours de latin d'Eglise ?

Et pour finir il dégoupilla sa petit fiole d'eau bénite et en asperga l'Arlon. Ite! Missa Est.

Montjoye ne prit pas la peine de répondre à la blonde, il suffisait de lire les placards impériaux pour avoir la réponse...

Il se contenta de sourire aux nouveaux propos de l'émanation divine dépositaire de la vérité, Arnarion :


"L'Eglise refuse les sacrements aux hérétiques, les derniers y-compris, c'est donc qu'elle les juge sur Terre, avant Dieu...
Vous n'avez pas besoin d'être plus explicite, chacune de vos certitudes me rappelle pourquoi ma foi est réformée."


Il n'entra plus dans les argumentations, convaincu que les fanatiques papistes étaient irrécupérables.

A peine avait-il rebouché sa fiole d'eau bénite qu'il dût répondre à la dernière sortie du Montjoye.

Marquis... vous m'écoutez quand je parle ? Parce que ça vous évitera de dire des âneries pareilles... je vous cite.

Citation :

"L'Eglise refuse les sacrements aux hérétiques, les derniers y-compris, c'est donc qu'elle les juge sur Terre, avant Dieu...
Vous n'avez pas besoin d'être plus explicite, chacune de vos certitudes me rappelle pourquoi ma foi est réformée."

Ne vous ais-je pas parlé de la Confession juste avant ? Je vais donc avoir besoin d'expliciter. La Confession - que l'on appelle traditionnellement le Sacrement du pardon, est le moyen par lequel le pécheur ( qu'il soit aristotélicien ou hétérodoxe ) reçoit la grâce sanctifiante de Dieu qui lui permet de laver ses péchés. Ce dernier sacrement rend une âme coupable en une âme pure. Dieu l'a déjà pardonné. Mais afin qu'il mérite Son pardon, il attend qu'il s'accuse et se mortifie de lui-même devant Lui en une contrition au mieux parfaite sinon imparfaite. Lui seul sait. Et c'est à travers son ministre qui en a reçu le pouvoir par Christos lui-même - mettons moi - que l'opération divine va se faire sur le pécheur - mettons vous - et que ce dernier aura une belle âme toute propre. On appelle ça "l'état de grâce". Parce qu'à ce moment, le pécheur est en communion avec la grâce de Dieu de laquelle il s'était éloigné par le péché. Ce dernier est alors pardonné de tout. Néanmoins Dieu étant justice, ce dernier doit réparer ses erreurs sur terres.

Bon, je fermes la parenthèse. J'espère que vous avez compris, maintenant. Sinon n'hésitez surtout pas. Vous voyez bien que l'Eglise ne juge pas sur Terre, puisqu'elle est l'instrument du pardon de Dieu. Et juger ne saurait être que trop contraire à sa mission pastorale.

Mais évidemment, je dois expliciter sur une chose, que vous savez parfaitement, j'imagine. Le Pardon de Dieu doit se mériter. Les aristotéliciens doivent le mériter en décidant de suivre le chemin de la Vertu et de tout faire pour ne point s'y perdre. Les hérétiques doivent, eux, et à juste titre, mériter le pardon de Dieu en cessant d'être hétérodoxes et en devenant orthodoxes. C'est-à-dire en cessant de se tenir à distance des enseignements de Dieu et en s'en rapprochant.
Déjà qu'en ne suivant pas la Vérité divine comme Dieu le veut, ils se coupent de toute grâce et de tout sacrement - qu'ils refusent d'ailleurs - alors vous comprenez bien que l'Eglise qui est le dépositaire et la protectrice sur Terre de la Vérité ne peut ni conférer de sacrement ni pardonner si les hérétiques ne font pas le premier pas en adhérant pleinement à la Vérité et en l'assumant. C'est extrêmement logique, mon cher enfant.

Amédée, votre foi est réformée parce que vous ne voulez pas comprendre que l'Eglise est le dépositaire de l'immanence de Dieu. Vos propos depuis le début de notre conversation vont à l'encontre de cette reconnaissance. Nier la préséance de l'Eglise, c'est nier la supériorité du spirituel sur le temporel. C'est nier que le temporel provient du spirituel qui l'a crée et qui le cautionne. C'est donc nier la Toute Puissance de Dieu sur Sa création.  C'est au final, lier définitivement l'homme à l'ordre naturel sans penser un seul instant qu'il provint aussi de l'ordre surnaturel.

Je me mets fortement à douter de votre capacité à penser théologie... Je donne un cours à l'Archevêché de Lyon. Vous voulez y assister ?

Mais enfin... Il regarda sa petite fiole qu'il tenait toujours dans la main et la montra à Amédée. Vous en voulez encore un peu ? Il n'en reste plus beaucoup.

Exactement, j'ai vu, j'ai suivi mais porte close... rit

Le chambellan laissa finalement monseigneur Arnarion à Christos, et répondit à Réki et Ysabeau, laconique :


"Vous pensez qu'il y a grand chose à discuter à propos de cet impérial entretien ? Pas moi."

"Soupire " en entendant les baliveres de Ysabeau .