Dans son bureau de la Procure de la Cour Martiale, la jeune femme regardait par la fenêtre, songeuse. Une boule au ventre le tenait depuis le moment où elle avait ouvert les yeux, réveillée par le coq de la basse-cour d'à côté. Le jour du premier procès des Forces Ducales de Lorraine était arrivé et cela la stressait. Elle avait bien dormi cette nuit, malgré tout. Les responsabilités qui pesaient sur les épaules de la blonde l'assommait chaque soir, trop épuisée de ses journées. Il faudrait qu'elle pense par ailleurs à se libérer un peu... Peut-être que ses douleurs articulaires cesseraient alors ? Soit. Même si elle n'y avait pas pensé avant, elle savait quel jour on était et ce qui allait se dérouler comme une pièce de théâtre, à la seule différence que les comédiens n'avaient pas répété avant.
Devant cette fameuse fenêtre, elle regardait dehors, les paysages qui s'étendaient derrière le Castel, essayant de calmer les émotions qui se mêlaient en elle. Certes, elles aimaient plaider contre les criminels, mais le faire contre un ami... Ce n'était pas agréable. Elle avait l'impression de le tromper, de lui planter un couteau dans le dos. Pourtant, elle devait faire son travail et surtout faire la part des choses. Il fallait se convaincre qu'aujourd'hui, elle n'allait pas accuser un ami, mais bien un soldat fautif, un soldat qui avait manqué à son Serment. Les sentiments n'avaient pas leur place. Et elle était déterminée à les oublier lorsqu'elle entrerait dans la salle du tribunal. En attendant, face à cette liberté qui se dressait au loin, elle ne pouvait empêcher ses pensées vagabondes. Elle revoyait dans sa tête leur rencontre, pleine de rires, leur amitié naissante et puis les dérives qu'elle a connue. La déclaration le 25 décembre, leur main entrelacées sous la table un soir et la séparation le lendemain par Elenna qui se refusait de perdre cet ami là-dedans. Elle se connaissait et savait qu'elle allait le faire souffrir, intimement convaincue qu'ils n'étaient pas fait pour être ensemble... Pas de cette manière. A partir de ce jour, cela n'a jamais plus été entre eux. Et ce fut encore pire après qu'elle eut appris qu'il avait demandé sa main auprès de son père dans son dos. Les rires étaient rares, la bonne entende n'existait plus. La colère, les frustrations et les disputes quotidiennes les avaient remplacés. Ils avaient bien essayé de recoller les morceaux, de redémarrer leur amitié où elle était restée. Mais les efforts se détruisaient vite. Là où elle avait voulu le protéger d'elle-même, elle n'avait créé que souffrance. Toutefois, elle n'était pas la seule fautive. Caton avait un don certain pour la mettre sur les nerfs. Elle détestait quand il se plaignait sans arrêt, elle détestait quand il n'avait plus aucune envie, elle détestait quand elle devait le reprendre pour qu'il fasse correctement son travail. Parfois, elle se demandait s'il ne le faisait pas exprès, juste pour se venger du mal qui le rongeait. Lui aussi, imaginait que la Louve lui en voulait, mais il ne comprenait pas qu'elle ne faisait que son travail. A plusieurs reprises, Caton et elle avaient eu des discussions fermes parce qu'il n'arrivait pas à faire la différence entre le Gouverneur du Bastion et la jeune femme qu'elle était en dehors de ses responsabilités. Les disputes qu'ils entretenaient auparavant dans les tavernes avaient alors commencé à empiéter dans leur travail à la défense, bien que la blonde essayait de garder ce rapport de hiérarchie dans la caserne. Elle ne pouvait accepter qu'un soldat parle mal à son supérieur comme il lui parlerait en dehors des uniformes. Non, ce n'était pas la même chose... Un supérieur on le respecte, même s'il a tort, même s'il est injuste. Un ami, on lui parle sincèrement, on le contredit s'il va sur le mauvais chemin. Mais on ne mélange pas les deux. Et cela, Caton n'arrivait pas à le faire.
Malgré tout cela, cette relation en dents de scie, cet énervement et cette empathie en alternance constamment, elle ne pouvait oublier qu'il était un ami. Car oui, il l'était encore pour elle. Sa patience avait des limites, mais pas sa loyauté.
L'heure du procès arrivait à échéance. Elle devait tout chasser de son esprit, sauf sa détermination de Procureur à gagner son affaire. Elle souffla un bon coup en se retournant vers son bureau. Les parchemins pour la mise en accusation et le réquisitoire étaient déjà prêts. Sa mine triste et pensive changea en une face sérieuse. Elle enfila sa robe de Procureur. Si elle avait su un jour qu'ils en seraient arrivés là eux deux, elle l'aurait peut-être évité.
Les parchemins sous le bras, elle descendit de son bureau de la Cour Martiale et traversa la Cour des Forces Ducales de Lorraine afin de rejoindre une autre partie du Castel la menant jusqu'à la salle de Réceptions où allait se tenir le procès. Elle entra alors dans la salle où tout était déjà apprêté. La table pour le collège des Juges, sa table de Procureur, les places pour le public... Elle se rappela alors du courrier de l'accusé... Il se croyait déjà condamné. Ceci était idiot. Il est évident qu'elle allait tout mettre en œuvre pour le condamner, mais elle n'allait peut-être pas réussir et cette idée ne semblait pas lui avoir effleurer l'esprit. Sa pensée de Procureur avait été "Tant pis pour lui. Cela sera plus facile de gagner face à un défaitiste.". Evidemment, la pensée de l'amie n'avait pas sa place là-dedans.
Elle s'avança vers sa table pour y déposer tous ces parchemins. Elle commença à les ranger, tout en repensant à son texte, en attendant que le monde arrive et se place.